Alors que la rentrée littéraire a démarré il y a peu, qu'il y aurait pléthore de livres "à la mode", je choisis délibérément de vous parler d'un récit publié en 2007. Parce que cette autobiographie est atemporelle, que plusieurs semaines après l'avoir fermée, elle me poursuit encore.
L'intelligence des mots choisis, m'a bercée d'emblée. Contrairement à son titre "Un roman russe", il s'agit d'une partie de la vie de l'auteur. Il mélange trois histoires, qui, sans que l'auteur ne soit intrinsèquement conscient au moment des faits, finiront par s'emboîter. Il raconte sans détour, son aventure amoureuse avec Sophie. On découvre tour à tour, un être pédant, prétentieux, méprisable, hautain, torturé, trompé, trahi, malheureux. Dans le même temps, suite à un fait divers il se rend en Russie. Il y résidera à plusieurs reprises et tournera un documentaire. Ses séjours à Kotelnitch sont d'une beauté sublime malgré la solitude abyssale de ses habitants. Les descriptions font défiler les paysages, l'ambiance de ce lieu où personne ne voudrait y vivre, les rares relations qu'il aura dansent encore dans ma tête. Emmanuel Carrère est excessif dans son malheur et toute la tristesse contenue dans cette ville est palpable. La Russie fait surgir le passé de sa mère, Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuel de l'Académie Française. Le père de celle-ci, un homme brillant devenu immigré en France, est arrêté en 1944. Il n'y aura jamais de sépulcre où verser les larmes du deuil. Ce n'est pas un véritable secret de famille, plutôt un refus de sa mère d'en parler. Ne pas dire pour un écrivain est imaginer. Sa mère lui intimera : "Emmanuel, je sais que tu as l'intention d'écrire sur ta famille en Russie. Mais je te demande une chose, c'est de ne pas toucher à mon père. Pas avant ma mort." Il transgresse l'interdit. Pourquoi Carrère désobéit, joue au mauvais fils, fait souffrir la femme qu'il aime ? On lit entre les lignes, on découvre un romancier qui souffre et qui ne sera jamais un écrivain du bonheur. A-t-il besoin de cette matière pour écrire, ou écrit-il pour survivre...
Au milieu du livre, il réécrit une nouvelle qu'il avait publiée dans Le Monde. De la provocation érotico-pornographique qui m'a mise en colère. Carrère, orgueilleux voulait surprendre sa compagne en lui dictant pas à pas, une montée du plaisir qui finirait par une séance d'onanisme dans les toilettes. Sa compagne aurait du prendre un train à 14 H 15, le Monde sous le bras. Il découvrira qu'il n'est pas tout-puissant. La destinataire de cette nouvelle ne la lira jamais. Dans le même temps, en la glissant dans le livre, il prend le lecteur en otage, le forçant à lire un genre qui n'est pas celui qu'on attend. Je découvrirai plus tard, tout ce qui se jouait pour Carrère et sa compagne. Mais elle m'a passablement énervée et je pense qu'avec son talent, il aurait pu faire aussi bien en suggérant, sans cette sexualité crue et solitaire que je n'affectionne pas dans la littérature.
Le livre prend alors une autre dimension. La Russie, sa rupture, sa non-humilité à vouloir délivrer sa mère, sa famille entière qu'il croit souffrante à cause d'un disparu, le tout enchevêtré est d'une force puissante. On découvre une autre facette de l'auteur qui terminera "Un roman russe" par une lettre émouvante à sa mère.
Carrère s'est dévoilé, sans complaisance. La vie ou une partie de sa vie avec des mots. Bien moins domptables qu'un animal sauvage. Je n'ose imaginer le séisme engendré par un livre aussi impudique. Sa mère ne dira jamais publiquement ce qu'elle a ressenti à sa publication. Je reste convaincue que par son imagination fertile d'écrivain, Carrère mélange la réalité, la vérité, s'approprie les souffrances de l'autre pour les faire siennes. Il n'empêche qu'Emmanuel Carrère réussi à nous faire éprouver des sensations fortes. Si lire c'est vivre des émotions, écrire c'est les panser un peu.
Emmanuel Carrère, écrivain, scénariste et réalisateur français est né le 9 décembre 1957 à Paris. Il débute comme critique de cinéma pour Positif et Télérama. En 1982, il publiera son premier livre, "Werner Herzog". En 1983, son premier roman est édité chez Flammarion. "Bravoure" sort un an plus tard chez P.O.L qui depuis édite tous ses livres. Son roman "la Classe des neiges" lui vaut une adaptation au cinéma par Claude Miller. S'ensuivent "L'adversaire", de Nicole Garia, film adapté du roman éponyme, "La moustache" qu'il réalise et co-scénarise, avec, dans les rôles principaux, Vincent Lindon et Emmanuel Devos. Son dernier livre "D'autre vies que la mienne", sorti en mars 2009 a reçu le prix Jean Bernard 2009 ainsi que le prix des lecteurs de l'Express.
9 commentaires:
Je prend note... suis une grande fan de lecture; avec des copines ont a instauré depuis 1 année maintenant des soirées livres ou chacune présente un livre et repart avec d'autres... du coup, je pense que je lis entre 3 et 4 livres par mois! Alors tout avis sur un livre est bon à prendre pour moi!
j'ai également préparer un post sur un livre que je viens de lire... ces proch jours!
Merci donc bcp pour l'info, ça donne envie de le lire!
J'aime bien lire les livres avec un certain décalage.
Là, je sous le coup de la colère des déclarations de Finkielkraut, alors Carrère le manipulateur qui a fait pssssschit, je retiens que ça et ça me réjouit. J'ai tort, sans doute, ton post ne le réduit pas à ça.
Mais entre Frédéric Mitterand qui rapelle, à raison, qu'on ne doit pas confondre homosexualité et pédophilie, et Finkielkraut qui sort tranquillement qu'une fille de 13 ans ne peut pas être violée parce qu'elle a posé nue, Je, euh, m'agace.
Les femmes violées l'ont toujours cherché, il en est donc encore là, le penseur de mes deux (ovaires).
sofsof : Je me réjouis de découvrir ton choix !
Frieda : Tu parles de l'Etrangèreté, ces entretiens de Finkielkraut, Carrère avec Renaud Camus. Je ne l'ai pas lu. Donc je ne me prononce pas. J'ai un problème tout de même avec le style très pédant de Finkielkraut donc, pfff.
Carrère a un don. Je voulais marquer cette phrase facile "Carrère que j'aime détester". C'est un peu ça. Probablement insupportable à côtoyer, mes ses tourments, en particulier dans ce livre, je les comprends. Mais, évidemment j'aimerais beaucoup entendre ce que tu penses. Pfff... va falloir se mettre à Skype.
Quant à ce cher Mitterand, tu me permttras de me taire. J'avais écrit un billet entier hier au soir, après son interview, face à la si mauvaise journaliste qu'est Laurence Ferrari. Je l'ai supprimé, pensant que mon blog deviendrait du grand n'importe quoi et que je n'ai pas l'énergie pour affûter mes arguments sur un dossier aussi épineux. Que les avis divergent.
Mais toi, tu dirais quoi, que tu as couché avec des hommes ou avec des garçons ?.... Simplement cette question. Il faut lire certains passages de son livre pour comprendre que Mittérand a eu tout loisir hier au soir de jouer avec le langage, art qu'il maîtrise parfaitement. Surtout face à une journaliste qui n'avait pas lu son livre et qui ne pouvait faire le poids.Bon je me tais ou sinon je vais finir par l'écrire ce post. Ah ! Frieda, y a pas que les chiffons dans la vie, hein ? :-)
Je ne l'ai jamais lu, je ne le connais que de nom, et donc je ne peux pas trop en parler, mais je n'aime pas trop l'impudeur, caractéristique de notre époque, dans la littérature ou ailleurs.
Il est possible de faire passer des idées ou des émotions, parfois fortes, sans jouer à ce petit jeu-là... en réalité, j'y vois carrément un manque de talent et de sensibilité. ça me fait un peu penser aux pages trash "c'est ma vie" de certains magazines féminins. Beurk.
Non, je n'ai pas lu ce bouquin (en revanche, j'ai lu celui de Mitterrand, j'y reviendrai sur mon blog, (sans doute, peut-être, rayer la mention inutile) je faisais allusion à l'épisode que tu relates dans ton post, cette nouvelle qui n'a pas été lue par celle à qui elle était destinée. Le côté montreur de marionnettes qui croit tirer les ficelles, ça n'a donc pas fonctionné, donc ? Les ficelles, il s'est juste pris les pieds dedans.
Et comme l'Armadio, cette civilisation du déballage, ça me fatigue. Même si celle du secret ne me conviendrait pas on plus...
Ah cette photo de couv' avec la piscine, qui prend tout son sens avec la lettre finale si émouvante !
J'ai lu ce livre cet été, après avoir adoré "d'autres vies que la mienne".
Mon côté monomaniaque m'a poussée à lire aussi "l'adversaire", "la moustache", "la classe de neige".
Carrère a fait du chemin depuis son roman russe, il a découvert l'empathie et le goût du bonheur, j'aime sa capacité à dire ses émotions.
(pas toujours facile pour un mec, hein ?)
Bravo pour ton blog, subtil mélange des genres.
Moon Palace
AAaah la Russie, une grande et belle (et interminable) histoire d'amour, entre elle (lui) et moi. :-)
aha.. je me réjouie du com' de Fri ;o) en fait, j'ai pensé à elle quand j'ai lu ton post... en pensant au passage manipulateur à souhait ...
Je n'ai pas lu Carrere, d'ailleurs en ce moment je traîne côté lecture... je crois que j'en suis depuis 1 mois sur le R.J. Ellory, seul le silence...
et toi, j'espère que tu te remets doucement de ta grippe :) des becs !
L'armadio del delitto : Je suis assez d'accord. mais Carrère me parle. Il vaut mieux ne pas vivre dans son entourage. Mais en tant que lecteur ou amoureux de la langue et des histoires... :-)
Frieda : MDR ! Je te retrouve bien, dans ton féminisme. Que ce soit une femme ou un homme qui impose, je n'aime pas. Disons que c'est complexe le pourquoi elle n'a pas lu. Mais ce passage, tous les gens qui l'ont lu et avec qui j'en ai parlé ont pensé comme moi. Pourquoi, il aurait dû faire autrement. Et oui, il s'est bien ramassé, mais il n' pas été tendre avec lui, dans ce livre.
Moon Palace : Bienvenue et joli choix de pseudo austérien ! Merci pour ton joli compliment. Ca me fait bizarre que tu dises monomaniaque. Je fais la mâme chose et n'avais pas l'impression de l'être :-)!!!
Avant d'entamer "d'autres vies que la mienne", je voulais connaître le reste. Enfin pas tout. J'en ai lu 3 autres et j'attends un peu avant de démarrer son dernier. :-)
laura s. : Ah Ah !!! :-)
Mariga(z) : On la connaît cette petiote ! Et toi, pardon mais toujours avec Ellroy :-)
Enfin sorti le nez...depuis jeudi matin ça commençait à faire long.
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